Et si l’Afrique devenait l’un des continents pionniers de la révolution numérique ?
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[TRIBUNE] Frédérique Le Grevès "Face à une crise sanitaire mondiale, des réponses façonnées par chaque culture locale"
La crise économique est inédite étant donné la raison qui l’a déclenchée. C’est probablement la récession la plus sévère depuis l’entre-deux guerre et en temps de paix. Le champ des problématiques qui vont voir le jour suite à cette crise s'annonce immense à la fois économique, sociale et sociétale : économie responsable, démondialisation, souveraineté, développement durable, changement de valeurs, engagements des collaborateurs, comportements des consommateurs, expérience client, la gestion des risques, la place de l’humain, le rôle de l’innovation etc.
C’est également une démonstration de la multiculturalité du monde dans lequel nous vivons. Sans tomber dans la caricature, regardons comment les différentes cultures, sociétés, populations ont réagi et réagissent contre cette crise sans précédent.
En effet, il est intéressant de constater que les crises révèlent des comportements différents suivant les cultures et les traditions des pays touchés, et que ces comportement, consubstantiels aux cultures, recèlent des réponses plus ou moins efficaces face au péril encouru.
De l’Asie aux Etats-Unis, en passant par l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient, à comportements culturels différents, réponses et efficacité différentes…
Commençons par l’Asie du Sud Est et plus spécifiquement la Chine. Tout a commencé à Wuhan dans la province de l’Hubei. Je connais bien Wuhan, j’y suis allée à plusieurs reprises. Je me souviens plus particulièrement du 1er Février 2016, jour de l’inauguration de l’usine DongFeng Renault. Il faisait froid, très froid. Il neigeait. Wuhan, comme beaucoup de villes en Chine, est extrêmement peuplée, presque 6000 habitants au km2. Cette densité de population crée une densité du trafic et avec le fleuve Yangzi qui traverse la ville et les nombreux ponts, la circulation n’en est pas facilitée. Pour l’inauguration de l’usine, tout était extrêmement codifié. La date, les couleurs, le déroulé de la cérémonie, les différentes prises de parole, les photos, tout a été fait dans le respect de la culture chinoise. C’est là que l’on réalise que, même en tant qu’entreprise globale, internationale, vous vous devez de respecter les us et coutumes locales. En Chine, déjà, avant la crise, plus de 90% des voitures vendues en Chine étaient fabriquées dans le pays…
Revenons au début de la crise du Covid-19.
D’ailleurs, il est difficile de mettre une date sur le début de la crise. Le gouvernement chinois a assez vite imposé un confinement à la population d’abord à Wuhan et ensuite progressivement dans les autres grandes villes. La population était contrôlée par les comités de quartier qui sont une cellule du parti communiste. Il y avait à peu près une personne pour surveiller 30 à 40 habitants. Le contrôle était très strict. Tous les déplacements étaient monitorés. Impossible d’y échapper. De toutes les façons, la population a respecté les directives. Le gouvernement a également généralisé les dépistages et imposé un confinement spécifique en fonction de l’état de chaque personne. On a donc vu une mise en œuvre des décisions rapide, tout à fait respectée et appliquée par l’ensemble de la population. C’est une économie digitale ou tout va très vite. Le e-commerce s’est envolé. La population chinoise qui utilisait déjà beaucoup cette façon de consommer l’a fait d’autant plus pour limiter les déplacements et les contacts. La supply chain a été très efficace pour continuer à livrer à domicile. Toute une infrastructure et une organisation a vu le jour. On a également constaté la mobilisation de tout un peuple et de ses entreprises. Tout ceci étant régi par l’Etat, l’instance suprême.
Aujourd’hui, on voit que la Chine sort progressivement de la crise, mais l’Etat garde une main de fer sur la réouverture progressive du pays et sur la communication post crise, qui reste sujette à interrogation….
Prenons maintenant l’exemple de Taiwan qui figure un peu de modèle dans la gestion de la crise sanitaire. En effet, ils ont eu à ce jour 300 contaminations et seulement 2 morts. La culture taiwanaise est une hybridation entre la culture chinoise, japonaise, européenne et américaine. C’est comme s’ils avaient pris le meilleur de chaque culture ! Ils ont été très proactifs et ont mis en place des consignes sanitaires dès le mois de Décembre. Ils ont également très vite fermé les frontières avec la Chine et se sont mis à la production de masques de manière massive. Ils en fabriquent 10 millions par jour. Il y a un encadrement très strict par la police et l’armée pour la production et la distribution des masques. Chaque famille a le droit à 3 masques par adultes par semaine et 5 pour les enfants. Ils doivent les acheter, mais le prix est fixé par le gouvernement. On peut retenir deux mots clés de la culture taiwanaise dans la gestion de cette crise : anticipation du gouvernement et mobilisation des entreprises et de l’ensemble de la population. Ils avaient été traumatisés en 2003 après le SRAS. A la suite de cette crise, ils ont mis en place un protocole avec 124 mesures. Protocole qu’ils ont déroulé pour surmonter la crise du Covid-19. Il y a également dans leur culture une très grande transparence du gouvernement qui communique régulièrement et de façon claire et précise. Par contre, la population doit respecter de façon très stricte les directives du gouvernement. Si vous êtes testés positif au Covid-19, vous êtes confinés, vous ne pouvez sortir sous aucun prétexte, vous devez vous faire livrer votre nourriture, vos voisins savent que vous êtes contaminés. Le gouvernement, grâce à un accès à votre téléphone peut faire un traçage électronique de vos déplacements. Pour information, l’amende pour non-respect de confinement se monte à 31 000 euros !
La Corée du Sud a mis en place des mesures similaires. Là aussi, nous avons vu des règles imposées par le gouvernement, une mise en place rapide, une grande discipline dans l’exécution et un respect des règles par la population.
Tournons-nous maintenant vers le pays du soleil levant. Pays que je connais bien, pour y avoir passé en moyenne 10 jours par mois de 2011 à 2019. Au Japon, les traditions sont très fortes et très imprégnées dans la vie au quotidien.
Prenons quelques exemples. Ils ont la culture de l’hygiène : il y a un espace à l’entrée de chaque maison ou appartement pour se déchausser. Leurs toilettes sont équipées de système de nettoyage et de séchage. Il y a la distance sociale, on ne s’embrasse pas, on ne se serre pas la main pour se saluer. On se penche plus ou moins légèrement en avant, en fonction de la personne que l’on salue. Ils sont aussi très attentifs à leur manière de s’alimenter, ce qui explique en partie le fait qu’ils ont une des plus grandes espérances de vie au monde et très peu de cas d’obésité. Si on est malade, on porte un masque pour ne pas contaminer les autres. C’est un peuple insulaire qui a géré beaucoup de crises et de catastrophes, ensemble. C’est un peuple uni dans une communauté et où l’individu passe au second plan. Mais c’est surtout un peuple extrêmement discipliné, ce qui leur permet de maîtriser l’épidémie. Ils ont une certaine sérénité par rapport aux crises, un certain fatalisme. Ils analysent, ils prennent des décisions et ils appliquent les décisions avec une grande discipline et une grande unité. Pour l’instant, cela a porté ses fruits avec 1500 cas et 40 morts.
En Europe, nous avons au contraire une situation où l’Union Européenne ressemble à tout sauf à une union. Il n’y a pas de plan commun, c’est chacun pour soi, très peu de solidarité. Les dirigeants semblent plus divisés que jamais. Certains pays font preuve de méthodes, d’organisation et d’anticipation. Quand d’autres semblent être totalement désorganisés, avec un manque d’anticipation et de discipline et surtout une grande individualité de la part des populations. Cette situation est inquiétante à la fois pour la gestion de la crise en tant que telle mais aussi pour la sortie de la crise. Jacques Delors, ancien Président de la Commission Européenne, a déclaré récemment, « Le climat qui règne entre les chefs d’Etat et de gouvernement et le manque de solidarité font courir un danger mortel à l’Union Européenne. » Il faudrait pouvoir décréter ensemble un effort de « guerre » économique et sanitaire sans précédent pour faire front.
Aux Etats-Unis, un autre pays que je connais bien pour y avoir vécu et travaillé. Deux ans à Detroit, deux ans à Los Angeles et deux à Nashville. Il n’y a pas une culture américaine mais des cultures, cependant avec quelques dominantes que l’on retrouve dans cette crise et ensuite des spécificités par état.
Il y a le rêve américain, on peut réussir aux Etats Unis en partant de rien et quand on réussit, on ne s’en cache pas. C’est une culture de la réussite individuelle. Le Président Trump a enfin pris conscience de la gravité de la crise et a lancé un plan historique de relance pour tenter d’éviter au pays de plonger dans une récession durable. Ce plan est deux fois plus important que celui d’Obama au moment de la crise financière de 2008.Le plan prévoit entre autres l’envoi d’un chèque de 1200 dollars aux familles les plus menacées économiquement, il prévoit de soutenir les petites entreprises menacées de faillite et des prêts aux grandes entreprises. Traumatisés par la Grande Dépression qui à la suite du Krach de 1929 avait précipité des millions d’américains dans la misère, les américains redécouvrent comme à l’époque du New Deal de Roosevelt les bénéfices d’un gouvernement interventionnisme. Même les indemnisations chômage vont être renforcées. Cependant, le problème risque d’être l’accès aux soins. En effet, aux Etats-Unis, l’accès aux soins reste un luxe que peu d’américains peuvent s’offrir et contrairement en France aujourd’hui où les hôpitaux publics et les cliniques privées ne vous font rien payer pour vous soigner, ce n’est pas le cas dans l’Etat providence…Deux économistes réputés, Roman Frydman et Edmund Phelps, défendent l’idée d’une « assurance systémique extraordinaire ». Malgré tout cela, les américains redoutent des émeutes et la vente des armes a explosé ces dernières semaines… Les EtatsUnis ont montré au travers de nombreuses crises qu’ils savaient réagir et se renforcer, mais les dégâts collatéraux dans leur société peuvent être importants.
Enfin, en Afrique, en Amérique du Sud, en Inde, en Russie, au Moyen Orient, ces pays dont on parle moins, vont être également touchés. Dans les pays les plus défavorisés, la crise risque d’être très difficilement surmontable. La situation sanitaire étant déjà extrêmement précaire, ce nouveau virus risque d’empirer des situations déjà très fragiles.
Mondialisation ou protectionnisme, que choisir….
Il va y avoir des mouvements de protectionnisme, mouvements qui ont commencé avant la crise Covid-19. Mais la mondialisation va-t-elle perdurer ou peut-être changer ?
Comme tout, il faut faire attention aux excès. Au-delà des passions et des émotions, il faut regarder le côté positif, la réalisation, la performance. La mondialisation devrait continuer, même s’il y a des résistances, des contraintes, mais en évoluant. Il faut regarder objectivement les effets. Il ne faut pas être frileux même si elle implique une certaine crainte. L’ouverture des marchés implique des avantages pour les consommateurs, comme l’accès à l’innovation, une inflation faible, une augmentation du pouvoir d’achat. Une entreprise peut avoir de fortes racines dans son pays d’origine, tout en étant implantée à l’international. Cette nouvelle forme de mondialisation ou doit-on parler d’internationalisation, ce pourrait être le fait d’accentuer la production au plus près de ses marchés. Exemple en Chine, 96% des véhicules vendus en Chine étaient produits en Chine déjà avant Covid-19. Il faut regarder la globalisation sur le long terme pour la performance durable de l’entreprise.
Ce qui sera également clé, c’est la diversité et le respect des identités. La diversité est une force, c’est une source de richesse. C’est plus compliqué, plus difficile, mais c’est un investissement, dont le résultat est plus riche. C’est plus facile de rester entre soi, mais c’est moins enrichissant. Par exemple, quand vous faites travailler une équipe multiculturelle (nationalités différentes, hommes/femmes, juniors/séniors, profils ingénieurs/commerçants, etc…), cela va prendre du temps à se comprendre, à trouver un langage commun, mais ce qui en ressortira sera plus fort car nourrit de l’expérience, de l’expertise et de la vision de chacun.
Pour accepter la diversité, il faut que les identités soient respectées. Et il faut un projet commun pour se focaliser sur la performance. Pour être performant, il faudra aussi remettre l’humain, le talent au centre de l’économie.
Que devient toutefois ce modèle très global, si les coups de boutoir contre la mondialisation se font plus durs et remettent en cause les chaîne de valeur intégrées mondialement ? Le vote en faveur du Brexit, la remise en question des accords commerciaux par Donald Trump, la volonté farouche de chaque pays de bénéficier d’échanges plus équilibrés ne sont-ils pas autant de menaces ? Est-ce que ce sont des corrections à court terme ou des remises en question de ce modèle ?
Nous nous rendons compte que nous sommes tous dépendants. Il faut repenser la demande. Que faire le jour d'après ? Certainement pas se replier et fermer nos frontières, ce serait revenir au Moyen-âge. Mais il faut contrôler la globalisation tout comme la mondialisation. Il est possible de résoudre la plupart des pénuries par une diminution de la demande, de nombreuses consommations non essentielles pouvant être réduites, voire supprimées sans nuire profondément à notre qualité de vie et surtout à notre vie. Une première réflexion individuelle sur nos comportements de consommation de ces biens serait donc salutaire.
Mais il en est tout autrement pour d'autres secteurs. On pense à la sécurité sanitaire : la pénurie de médicaments étant une véritable menace potentielle pour la santé publique. Cette menace, particulièrement présente aujourd'hui, ne date pas de la crise actuelle. En effet, 80% (contre 20% il y a trente ans) des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont fabriqués en Asie, essentiellement en Chine et Inde, 60% du paracétamol et 90% de la pénicilline mondiaux sont produits en Chine…
Nous vivons dans un monde de rendements croissants qui entraînent la formation de monopoles voire d'oligopoles mondiaux. Le Covid-19 ne fait qu’accroître les conséquences des défaillances de marchés qui ne sont pas compatibles avec les exigences de sécurité sanitaire.
L'épidémie que nous traversons doit faire changer les modèles. Nous avons besoin de régulations dans certains secteurs essentiels, comme celui de la santé. Espérons que les Etats seront s’entendre et s’unir ensemble. Une saine solidarité doit se créer, les leçons de cette crise seront retenues.
Le monde d’après sera différent du monde d’avant….
De nouveaux comportements vont voir le jour tant sur la façon de consommer que sur la façon de travailler, comme par exemple moins de déplacements professionnels, une consommation au plus près de la production, en privilégiant les produits frais, encore plus de livraisons à domicile, etc…
Les leçons que l’on pourrait en tirer : people, people, people…
L’humain et son environnement vont redevenir le centre des préoccupations, tant sur un point de vue sanitaire que tout simplement sur le centre des décisions. Nous allons redécouvrir l’importance du lien social ; redécouvrir la valeur des liens professionnels.
Il va falloir réfléchir, être prêt à transformer, s’adapter, agir vite et de façon disciplinée. Il va falloir minimiser les risques pour ses clients et pour ses employés. Plus d’assurance et moins d’incertitude, tout cela avec beaucoup de transparence. Il faudra être en ligne avec sa marque, sa raison d’être. Plus d’écart possible entre les paroles et les actes.
Nicolas Hulot a parlé « d’ultimatum de la nature », il va falloir apprendre à faire mieux avec moins. L’innovation sera clé dans ce processus mais au service des hommes et des femmes et de notre planète.