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OUVRAGE : Le nouvel âge de l'humanité, de Pascal Picq

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La notion de « transhumanisme » aurait été utilisée pour la première fois par le philosophe allemand Peter Sloterdijk à la fin du XXe siècle. Il ne s’agit pas uniquement de l’augmentation de notre durée de vie :  « La procréation, l’amour, le corps, la mort, notre physiologie comme nos capacités cognitives, la famille, la société, le travail, la politique : tout ce que nous connaissons est amené à être dépassé pour atteindre un nouveau stade détachant l’homme de toutes les contraintes de son évolution biologique et sociale. » (p. 61)

Le transhumanisme est un projet qui poursuit un but : le « posthumanisme ». « Le prochain descendant d’Homo erectus après Homo sapiens sera-t-il Homo ex machina ? » (p. 12). « L’humanité se doit de de dépasser cet état de de construire l’âge des posthumains » (p. 62). Déjà en 2005, Barack Obama avait demandé un rapport sur le transhumanisme.

Cette grande révolution à venir effraie autant qu’elle fascine parce qu’elle est à la fois :

-« Logique » : « les espèces humaines possèdent une plasticité morphologique, physiologique et cognitive » ;
-« Paradoxale » : « le projet de couper le cordon qui nous rattache à toute l’histoire de la vie » est en contradiction avec la longue « coévolution » de l’humain avec « les autres organismes vivants » (p. 11).
 

Sur le fond, le transhumanisme actuel prospère à la confluence de trois ambitions :

-« L’humanisme libéral », selon lequel « l’humanité se compose d’individus et réside en chaque individu comme entité inaliénable, voire sacrée. Chacun dispose de droits fondamentaux. Les droits de l’Homme s’inscrivent dans ce courant. » ;
-« L’humanisme social », pour lequel la « valeur suprême est l’espèce, […] le genre humain ». Son idéologie lutte obstinément contre les inégalités » ;
-« L’humanisme évolutionniste », dont « l’objectif consiste à mettre en place une politique qui évite la dégénérescence d’Homo Sapiens en éliminant les caractères défavorables ou non souhaitables, tout en favorisant les individus porteurs de bons caractères. C’est une transposition dans le champ humain du principe de sélection naturelle de Charles Darwin » (p. 87-88).

Ces humanismes, prospères depuis le XIXème siècle, sont eux-mêmes les héritiers des humanismes de la Renaissance (Montaigne, les « humanités ») puis rationalistes du XVIIème siècle (Descartes), et enfin « bourgeois » des Lumières (p. 102-103)..

Et il se redéploie sur la base de perceptions fortes :

-Le « posthumanisme technophile considère que notre évolution et même nos sociétés sont arrivées au terme de ce qu’elles pouvaient potentiellement nous offrir de mieux et qu’il faut dépasser ces contraintes biologiques, cognitives, sociales et même environnementales grâce aux technologies » (nanotechnologies, cryogénie, sélection génétique, eugénisme positif, robots et cyborgs, intelligence artificielle, réalités augmentées, téléchargement de l’esprit dans des machines, etc.) ;
-« Il y a par ailleurs un courant posthumaniste qui n’est pas issu du transhumanisme, qui vient de la philosophie et des sciences humaines. » « Il critique la tradition humaniste occidentale issue des Lumières qui, portée par le progrès des sciences, des techniques et des industries, a permis la domination de l’homme occidental blanc sur le monde. » « Ils font un constat implacable des conséquences du progrès depuis la fin du XVIIIème siècle : l’emprise sur les sociétés et le monde par des nations occidentales dirigées par des hommes blancs, ce qui s’accompagne d’un humanisme de plus en plus discriminant envers les femmes (sexisme), les autres peuples et ethnies (racisme), les personnes différentes (handicapés), les pauvres (darwinisme social), ou encore les animaux et la nature (espécisme). Claude Lévi-Strauss a décrit et dénoncé cet humanisme de plus en plus restreint. » ;
-« Notre tradition humaniste reste résolument centrée sur la place prééminente de l’homme dans le cosmos, la nature ou encore l’histoire de la vie, ce que dénoncent [une partie des] posthumanistes. » (p. 63-65).
 

L’avis du GCF sur le livre de Pascal Picq :

Le livre de Pascal Picq est passionnant pour deux raisons : il permet de comprendre le transhumanisme non comme une évidence technicienne, mais comme la traduction de conceptions collectives historiquement situées ; en outre, il révèle qu’il n’existe pas un transhumanisme, ni une seule filiation transhumaniste, mais une pluralité de courants.

Au total, le transhumanisme apparaît comme une diversité qui procède de conceptions fortes, pour une large part inspirées par les limites des « humanismes » antérieurs.

Deux registres d’analyses complémentaires auraient pu enrichir la réflexion :

-Quid des religions, des humanismes liés aux valeurs spirituelles, à la dignité de l’homme, etc. ? Et in fine au retour du religieux au XXIème siècle ?
-Quid de l’humanisme républicain, celui des humanités littéraires, de Ferdinand Buisson à Albert Camus ? Est-il condamné ou est-il appelé à resurgir, en réaction contre le transhumanisme ?
-En poursuivant la réflexion, quelle confrontation à venir entre humanité et transhumanisme ?
 

À propos :

Quelques « pères fondateurs » du transhumanisme

Nikolaï Fiodorov (russe, 1829-1903). Espère que les sciences et les techniques, jointes à la sagesse et à la méditation, permettront de dépasser l’tat de l’homme et de corriger les maladies et la mort. De même son contemporain Elie Metchnikov, prix Nobel de médecine 1908, sous-directeur de l’Institut Pasteur, fut l’un des pionniers des travaux sur le vieillissement en étant convaincu que la science peut dépasser les limites de la nature.

Julian Huxley, invente le terme « transhumanisme » en 1957. Il est très proche de Teilhard de Chardin, qui développe l’idée de responsabilité de l’Homme. Sa conviction est qu’après la guerre, s’impose une amélioration de l’Homme par l’éducation, les sciences et la culture, mais également par une meilleure maîtrise des effets aveugles et négatifs de la génétique. Il fut le premier Directeur général de l’Unesco.  Auteur de L’homme, cet être unique, Oreste Zeluck, 1948), il est le frère d’Aldous Huxley.